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Rencontre avec Ninon, assistante sociale MENA

08/03/2024
A l'occasion de la journée de lutte pour les droits des femmes, nous avons interviewé Ninon, assistante sociale MENA. Ninon travaille dans le secteur social depuis 7 ans : pendant un an et demi comme éducatrice et, depuis lors, comme assistante sociale, toujours avec le même public, les mineurs étrangers non accompagnés (MENA).
Ici, tu es arrivée dans une équipe où, au début, tu étais la seule femme, comment ça se passait ?

Relativement bien parce qu’avec un public MENA, c’est quand-même rassurant d’avoir plus d’hommes que de femmes par expérience. Dans mon ancien centre, avec 35 jeunes, quand il y a des émeutes, ça fait quand-même plaisir qu’il y ait les deux : les hommes pour cet aspect un peu plus physique et dissuasif et aussi par rapport au fait qu’on a un public qui, parfois, a une relation culturellement différente vis-à-vis de la position de la femme, mais aussi justement des femmes pour intégrer les valeurs qu’on a ici en Belgique, la position de la femme. J’ai par exemple eu une cheffe éducatrice donc je trouve que ça a fait du bien aussi. Et ici par rapport à mes collègues masculins, je me suis sentie bien parce qu’on est une petite équipe et que ça tourne. Donc finalement, quand il y a un éducateur à l’horaire et moi, ça fait la parité. Ils ne sont pas tous à l’horaire en même temps (rires).

Selon toi, quels sont les challenges du fait d’être une femme qui travaille avec des MENA garçons ?

Le fait que ce soit une population masculine joue aussi forcément mais pas toujours beaucoup plus qu’avec des adolescentes. Ce que j’ai remarqué, par exemple, les jeunes se comportaient différemment avec les éducatrices ou avec la cheffe éducatrice car ils avaient quand-même compris son rôle hiérarchique. Elle arrivait donc à plus imposer le respect que certaines éducatrices parce qu’ils avaient compris qu’il y avait un « intérêt » à avoir avec cette relation-là avec la cheffe éducatrice.

Il y a des fois où cela a déjà « posé problème » ou que tu sentais que le fait d’être une femme était un obstacle dans ton travail ?

Je l’ai rarement ressenti comme un obstacle. Parfois, je me suis sentie dans des positions étranges et je ne savais pas toujours bien expliquer ou verbaliser pourquoi je me sentais comme ça, que ce soit par rapport à un garçon qui avait l’air de me prendre de haut ou par rapport à une fille, qui était très éloignée de mon fonctionnement personnel, par exemple, en tant que femme en Belgique. De manière générale, je me disais que c’était des cultures différentes, des approches différentes et qu’il fallait juste qu’on se coordonne, qu’on apprenne à s’apprivoiser.

Quand j’étais plus jeune, peut-être au début un peu mais, au fur et à mesure, j’ai compris que ça faisait partie de la réalité de mon métier et que je ne devais pas m’en sentir mal à l’aise, que c’était une découverte de l’un comme de l’autre. Il y a aussi des comportements qui, moi, m’ont heurtée ou questionnée et j’accepte que ça soit pareil dans l’autre sens et que des résidents puissent se questionner sur notre façon d’être et c‘est normal. C’est juste de la découverte.

Et les avantages d’être une femme dans le cadre ton travail ?

Le fait d’avoir une approche un peu plus douce et féminine, parfois, ça peut aider des publics qui sont plus vulnérables et qui se rendent compte aussi de l’avantage parfois d’avoir la douceur ou l’ouverture d’une femme ici en Belgique. Comme on peut être plus « tactiles » que dans certaines cultures, pas non plus à faire des câlins et des choses comme ça, mais même une main sur l’épaule, ça peut ouvrir un lien de confiance.

L’arrivée d’une coordinatrice MENA femme [récemment], ça a changé quoi dans l’équipe ?

Ça a ramené une petite parité vu qu’il y a quatre éducateurs hommes et deux femmes (coordinatrice incluse). Comme j’ai dit, dans mon ancien centre, j’ai déjà connu une coordinatrice femme donc ça m’a semblé naturel. Et c’est une personne qui vient avec de l’expérience, qui a travaillé à Fedasil avec ce même public et qui a une vision que j’affectionne dans le sens procédure mais aussi flexibilité quand elle est utile. Je pense que ça amène aussi un regard, plus ouvert, plus tendre qu’on soit deux à amener un regard féminin et quatre un regard masculin pour qu’on puisse justement mettre tout ça sur la table et en ressortir une mixité ; même dans nos décisions, dans nos points de vue, dans nos approches vis-à-vis des résidents.

Les jeunes, eux, comment ils apprivoisent cette autorité féminine ?

Je crois qu’ils sont encore dans la découverte. C’est difficile d’évaluer pour le moment mais, a priori, ça se passe bien. Je pense que, pour les jeunes, c’est quand-même positif car, quand ils ne se sentent pas entendus, ils peuvent demander un entretien. Et même si la règle ne va pas forcément changer, juste le fait d’être pris en considération, d’avoir un entretien individuel et de pouvoir être entendus, ça a déjà désamorcé des choses sans que les règles aient changé. Je pense qu’ils ont déjà bien compris cet avantage-là.

Et dans le secteur social de manière générale, tu trouves qu’il y a plus d’hommes ou de femmes ? Car ici, quand on regarde l’équipe de Senonchamps, il n'y a pas un tiers de femmes..

J’ai l’impression que c’est un peu un hasard, c’est en fonction des personnes qui sont disponibles au moment de l’entretien. Je pense que ce sont des périodes, c’est en fonction des gens qui postulent.

Il n’y a pas des tendances spécifiques liées au secteur social qui font qu’il y a plus d’hommes ou plus de femmes ?

Je n’ai pas ce sentiment-là personnellement. J’ai vécu des périodes où c’était l’un ou l’autre et puis je trouve que c’est justement le secteur où il y a le plus de parité finalement. C’est un métier qui correspond autant aux femmes qu’aux hommes. Dans le social, ce sont des compétences qui vont autant à une femme qu’un homme et je trouve que les deux justement s’allient et se complémentarisent autour d’un public qui a besoin des deux.

Au niveau des assistants sociaux, il y a plus de femmes ? D’hommes ?

Peut-être plus des femmes, même dans les études que j’ai faites, il y avait plus de femmes sur les bancs, etc mais là encore, dans mon ancien centre, j’avais d’abord un collègue homme et puis j’ai eu une collègue femme mais, au départ, c’était un-un. C'était chouette, on avait deux visions où on s’unissait. Parfois, on voyait bien que les jeunes allaient chercher la douceur ou quoi pour être écoutés ou alors justement parfois chercher l’argumentation près d’un homme, même si la réponse allait être la même. Ce sont des perceptions du public qu’on ne contrôle pas toujours.

Les challenges et les avantages d’être une femme dans le secteur social ?

Il n’y a pas encore d’éducateurs de nuit car on a la chance d’avoir un service accueil 24h/24 mais, faire des nuits en tant que femme, je trouve que ça peut être parfois un peu délicat dû à la force physique aussi : pas du fait de se sentir personnellement en danger mais si deux résidents se battent ou essaient de forcer une porte, on peut se sentir plus démunie d’être une femme pendant la nuit. Il y a aussi la perception que le résident a de nous et qui évolue avec le temps. On en vient aussi à comprendre la façon de parler des résidents qui peut, parfois, paraitre agressive alors que ce n’est pas forcément le cas et que c’est culturel. Au début, on peut sentir cette difficulté-là en tant que femme quand on arrive dans le secteur mais l’apprivoiser au fur et à mesure de l’expérience.