Du job d’étudiant à la famille d’accueil
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Comment a-t-il connu sa famille d’accueil ?
Rembobinons quelques mois en arrière.
Schanford travaille depuis environ 6 mois comme étudiant dans la friterie cogérée par Greg à Bastogne. La coordinatrice du service MENA, Maureen, connait l’associé de Greg. Elle avait demandé s’il ne voulait pas prendre un jeune du centre comme étudiant à la friterie. Ils ont accepté, à la condition que ce soit un jeune qui parle français (pour pouvoir facilement communiquer avec l’équipe et les clients).
Deux jours après, Maureen leur présentait Schanford. Il est venu faire un essai ; il s’est tout de suite intégré. Tout le monde l’aime bien, l’équipe l’a aidé, lui a montré comment faire les frites et il a continué. Il fait partie de l’équipe comme tous les autres étudiants. Tout se passait bien. L’associé de Greg a alors appris que l’aile MENA de Senonchamps allait fermer. Cela tracassait bien évidemment Schanford, qui en dormait mal.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vous proposer comme famille d’accueil pour Schanford ? Quelle « plus-value » y voyez-vous ?
Un jour en cuisine, Greg discutait avec Schanford et lui a demandé s’il souhaitait partir de la région. Il a répondu que non car il s’est intégré à l’école, à la friterie, il a un job d’étudiant, des amis, il se sentait bien ici, il n’avait pas envie d’aller dans une grande ville.
Greg y avait déjà réfléchi, il y avait une chambre de libre chez lui. Il a dit à Schanford qu’il avait peut-être une solution pour lui, qu’il avait une chambre, qu’il devait en parler à Nathalie. Elle était d’accord et partante directement. Ils ont confirmé au jeune qu’ils pouvaient l’accueillir mais lui laissaient le choix et le temps d’y réfléchir. Il a réfléchi « zéro seconde » avant d’accepter la proposition, il n’y avait même pas à réfléchir selon lui !
Au vu de sa bonne intégration, la famille trouvait cela dommage qu’il soit de nouveau déraciné. Ils n’avaient pas le cœur de le laisser partir. Maintenant, il doit les supporter [rires], ce qui n’est pas un problème pour lui, dit-il. Quand Schanford a appris qu’il allait devoir quitter le centre, cela le fatiguait, il n’arrivait plus à étudier car il se disait que cela ne servait plus à rien car il devrait changer d’école. Et il dit « Dieu a ouvert une autre porte » et l’a mis sur le chemin de Greg, rajoute Nathalie. C’était un peu son cadeau de Noël, voire même de Saint-Nicolas.
Le fait d’être là, est le plus beau cadeau selon lui. La famille n’avait pas de doute sur le fait que cela se passerait bien car ce n’est « pas un gamin turbulent, c’est même un gamin calme, posé, mûr » mais ils ne savaient pas si Schanford s’y plairait.
« En tout cas, je me sens super bien », dit le jeune. Nathalie rajoute que la première nuit qu’il a passée chez eux, il a dit « j’ai fait ma meilleure nuit ».
Comment cela s’est-il déroulé pour effectuer les démarches ?
Greg et Nathalie disent ne pas avoir dû faire grand-chose. Ils ont contacté Maureen qui, avec son équipe, a géré les aspects administratifs. Ils ont eu un rendez-vous au centre avec le tuteur du jeune pour discuter. A la suite de ce rendez-vous, Greg et Nathalie lui ont proposé d’utiliser des jours de permission [NDLR : les résidents ont droit à passer 10 nuits par mois en dehors du centre] pour venir chez eux et le jeune ne les croyait pas. Mais il n’a pas fallu insister, la valise fut vite faite.
Lors de la rencontre au centre, 3 solutions ont été proposées :
- Départ spontané avec droit à l’accueil : le jeune quitte le réseau pour s’installer chez son patron. Le jeune et le patron ne reçoivent aucune aide financière mais Fedasil reste compétent pour la prise en charge des frais médicaux. En cas de problème, le jeune peut se représenter au dispatching pour réintégrer un centre d’accueil.
- Départ avec suppression du code 207 : le jeune renonce définitivement à l’aide matérielle octroyée par Fedasil et supprime son code 207 (procédure via le tuteur et l’avocat auprès de Fedasil). Une fois le code 207 supprimé, le jeune ouvre le droit à l’aide sociale du CPAS. Il peut prétendre à l’eRIS qui s’élève à environ 800€ par mois. Pour les frais médicaux, Fedasil n’intervient plus et la mutuelle est 100% compétente. Plusieurs contraintes : si le jeune vit chez le patron, ils seront considérés comme cohabitants. Les revenus du patron seront repris dans les calculs du CPAS (tout comme les allocations familiales du jeune). Enfin, une suppression du code 207 entraine une impossibilité à réintégrer le réseau Fedasil. Si cela se passe mal chez le patron ou que le jeune doit quitter pour X ou Y raisons, il ne pourra pas redemander une place en centre d’accueil.
- Le patron devient famille d’accueil officielle, via Mentor Jeunes, qui octroie des aides financières et un accompagnement psychosocial aux familles d’accueil pour MeNa (400€ par mois environ). La procédure d’admission est longue mais le suivi est de qualité ! Si cela se passe mal, Mentor Jeunes est là pour accompagner la situation et le jeune peut réintégrer un centre si besoin.
Ils ont opté pour la troisième option, ce qui permet au jeune de garder ses droits, son tuteur, le service juridique pour le suivre, etc. Mentor-jeunes doit ensuite donner son accord. Le tuteur est intervenu pour accélérer le processus administratif. La région-Sud de Fedasil a aussi été informée et a donné son accord pour que le jeune réside dans sa famille d’accueil le temps d’avoir l’accord définitif et en dépendant donc toujours du centre en attendant. Les démarches n’ont donc pas été contraignantes pour la famille d’accueil.
En termes de responsabilité, le jeune a toujours son tuteur. La famille d’accueil aura des procurations pour tout ce qui est scolaire notamment. Ils sont en contact régulier avec le tuteur pour maintenir son droit de regard sur l’école, les rendez-vous médicaux, etc.
Les responsabilités du tuteur s’arrêteront quand le jeune deviendra majeur. La famille d’accueil, elle, souhaite, accompagner le jeune sur le long terme, notamment en lui permettant de poursuivre des études/une formation. Il souhaite se spécialiser dans la soudure. Eventuellement une formation de ministre aussi [rires].
Son rêve est d’aller en Angleterre, à Londres. Greg et Nathalie lui ont dit que le jour qu’il obtiendrait son statut de réfugié, ils s’y rendraient.
Schanford a prouvé être l’étudiant fiable recherché par la friterie. Il était toujours à l’heure et venait travailler quand c’était prévu, et par tous les temps, même en se déplaçant en trottinette. Maintenant, Nathalie le conduit en voiture, où il a découvert le « bouton magique » [NDLR : l’option qui permet de chauffer les sièges à l’avant].
Si vous deviez convaincre une autre famille d’accueillir un jeune comme vous le faites, vous leur diriez quoi ?
Ils disent que cela dépend du jeune mais que, si c’est un jeune comme celui-ci, les convaincre, ils ont envie de dire :
"Venez voir ce qu’il a vécu et ce qu’il vit maintenant et vous comprendrez quel bonheur ça peut être pour lui, ça ouvre tellement de portes, puis ça n’engage à rien, ça ne coûte rien, c’est juste ouvrir sa porte et lui donner un lit."
Et ils rajoutent « voir le bonheur sur son visage ». « Ça demande un peu de temps. Si vous avez une peu de temps libre et une pièce dans la maison qui ne sert à rien, voilà, prenez un jeune, tout simplement. Puis ça apporte tellement de choses. Il nous apporte plein de trucs aussi. Il nous amène sa bonne humeur. » Le jeune avait d’ailleurs décoré le sapin de Noël et placé diverses décorations dans la maison.
Accueillir le jeune leur permet aussi de faire des choses qu’ils ne feraient pas forcément (par exemple : se rendre à un marché de Noël), et puis c’est chouette de pouvoir lui faire découvrir plein de choses et de le voir s’épanouir comme ça, notamment son premier sapin de Noël (illustré par une boule qui marque son premier Noël). Ce n’est que du positif selon eux. Ils encouragent les gens à ouvrir leurs portes à des jeunes comme ça qui n’ont pas demandé à être dans un centre de transfert ou à la rue.
"Lui n’a pas demandé ça à la vie et il mérite d’avoir une vie normale. Il n’a pas une vie de prince, il a juste une vie normale. Lui a l’impression d’avoir une vie de prince mais, pour un gamin de 17 ans belge, il a une vie normale."
« Si on peut t’aider, on t’aide. Si on ne sait pas t’aider, on cherche des personnes qui peuvent le faire. On est ses nouveaux parents ». Le jeune leur a d’ailleurs fait cadeau d’un cadre, réalisé lors d’une formation à la découpe laser. Ils ont aussi fait des démarches pour qu’il intègre un club de football car il est demandeur. Et il était emballé, et cela fait plaisir à sa famille de voir l’émerveillement dans ses yeux. Il s’intéresse à plusieurs choses, il veut apprendre à faire à manger, à s’impliquer. Il a sa propre clé de la maison maintenant.
"Il faut ouvrir leur porte et leur cœur."
Schanford, quels sont tes projets d’avenir ici en Belgique ?
Obtenir son CESS, avoir ses papiers, ou plutôt avoir les papiers avant le CESS [rires]. Faire une formation pour approfondir ses connaissances en soudure. On lui dit qu’il est bon mais il dit qu’il sait qu’il a encore beaucoup à apprendre pour maitriser et pouvoir décrocher un bon travail.
Ils ont fêté les fêtes de fin d’année chez eux avec « son nouveau frère ». Ils ont accueilli par le passé un jeune au parcours difficile qu’ils avaient aussi rencontré par le biais du travail. Ils devaient l’héberger pour quelques jours le temps qu’il trouve un appartement. Ils se doutaient que ce ne serait pas faisable. Ils l’ont scolarisé, il a terminé ses études, ils l’ont aidé à trouver du travail et un appartement. Ils sont toujours en contact avec lui. Quand ils lui ont dit qu’ils allaient accueillir le jeune, il leur a dit « vous n’allez pas m’oublier ? ». Ils se sont rencontrés rapidement.
Pour le Nouvel An, ils ont privatisé la friterie, la famille de Nathalie est venue. Greg et le jeune se sont habillés de la même manière et le jeune s’occupait des frites. « Je suis un pro » dit-il. Des clients viennent trouver Greg et lui disant que le petit jeune qu’ils ont engagé fait les meilleures frites. Les clients l’apprécient, il est souriant.
"J’ai déjà fait beaucoup de choses, appris beaucoup de choses."
Et Nathalie renchérit en disant que ce n’est que le début !